Qui a déjà lu quelques romans de Philip Roth pourrait s’attendre, en saisissant ce livre sur les rayonnages de la bibliothèque, à une biographie de l’auteur. Un document fourni, détaillé, s’attachant peut-être à l’enfant qu’il a été, l’environnement dans lequel il a grandi, pour mieux comprendre l’adulte et l’œuvre de ce grand et prolifique écrivain américain né dans le New Jersey et aujourd’hui âgé de 83 ans. Point du tout ! Et Josyane Savigneau, écrivain et journaliste au journal Le Monde, auteur de cet opus, prévient les lecteurs dans un avant-propos tout en expliquant les circonstances dans lesquelles l’idée de ce livre est née. Ce n’est donc pas « une esquisse de biographie », ni une « étude littéraire » quand bien même il y est beaucoup question de ses livres et des personnages qu’il a construits en un peu plus de cinquante ans. Josyane Savigneau raconte plus de vingt années de rencontres – à New York ou dans le Connecticut – avec Philip Roth à raison d’une fois par an. Une prouesse quand on sait que Philip Roth nourrit une aversion pour les journalistes littéraires – cela fait néanmoins partie du personnage- et Josyane Savigneau gardera longtemps un souvenir cuisant de leur première rencontre. C’est donc une vision très personnelle de Philip Roth que Josyane Savigneau donne à connaître aux lecteurs, une lecture en creux où affleure l’admiration pour l’écrivain et pour l’homme, terriblement complexe, volontiers caustique, aimant désarçonner ses interlocuteurs – pour mieux se protéger ? -, mélangeant savamment le vrai et le faux – ce qu’il fait aussi dans ses romans. Une légende de son vivant. Rare !
Extrait, page 39 : « Me revenaient en mémoire, bien sûr, les récits des uns et des autres. Il déteste les journalistes, et les expédie en vingt minutes, quand enfin il accepte de les recevoir. Il est toujours de mauvais humeur. Si tu étais une jeune femme, passe encore, il aime séduire. Toi, tu es bien trop vieille pour lui : dès qu’elles ont atteint la trentaine, ça ne l’intéresse plus. Mais rien n’aurait pu me faire renoncer. Me voilà donc à New York, pour une semaine ? Dès mon arrivée, le lundi, j’appelle Roth, qui semble un peu étonné que je sois venue. Il me fixe rendez-vous le surlendemain dans son appartement de l’Upper West Side de Manhattan et me demande mon numéro de téléphone. Le lendemain, il rappelle, pour déplacer la rencontre au même endroit, le vendredi. Je dois prendre l’avion pour Paris le samedi soir, et je commence à m’inquiéter. Nouveau coup de téléphone : finalement il propose justement le samedi, et dans sa maison du Connecticut. C’est une catastrophe, mon billet d’avion n’est pas échangeable. Mes délicieux amis américains, qui mettent leur appartement new-yorkais à ma disposition, me calment : ils m’emmèneront dans le Connecticut, ma valise sera dans le coffre, ils m’attendront et me conduiront à l’aéroport. Le samedi matin avant 8 heures, le téléphone sonne. Je me précipite. Au bout du fil, Philip Roth. Je reste interdite. « Ne vous inquiétez pas… – Mais si je m’inquiète. – Venez à 15 heures à mon appartement new-yorkais ». À quoi rime ce jeu de pistes depuis une semaine ? » Josyane Savigneau.